Au revoir ma petite équipe…

Celle qui ne me lâchait pas des yeux, toute la journée, guettant mes consignes et me souriant gentiment quand un autre me posait la question à laquelle je venais de répondre longuement. Elle compatissait du haut de ses 9 ans. Son sourire et son regard auront souvent été ma bouée, je l’avoue. Elle ne le saura jamais mais je ne cesse de l’admirer, j’aimerais avoir son calme, sa constance.

Celle qui voulait être juge quand elle sera grande, qui en a déjà les qualités d’écoute et cette capacité à lire le réel avec les yeux de l’autre pour comprendre comment il l’a pensé, lui. Peut-être qu’elle sera psychothérapeute, plutôt, mais surtout j’espère qu’elle viendra me le dire quand elle en sera là…

Celui qui avait tout le temps peur, qu’on l’oublie, qu’on le délaisse, qu’on ne l’aime plus, qu’on ne le voit pas. Il ne sait pas, celui-ci, à quel point je ne risque pas de l’oublier.

Celle qui ne lâchait rien, jamais, malgré la difficulté que c’était de tout bien faire, qui ronchonnait à l’heure de la récré : mais j’ai pas fini moi, maîtresse ! Une championne de la persévérance, j’en ai pris de la graine, je peux vous le dire.

Celui qui avait la rigolomanie (trouble relativement bénin qui s’exprime quotidiennement par une envie de se marrer à tout propos) et un intérêt très modéré pour la chose scolaire, mais comme maman et papa ont l’air d’y tenir et qu’il les aime beaucoup…

Celui qui partait à la course vers le couloir pour être le premier sur le ballon, qui reviendra de cette récré comme de toutes les autres : en sueur et écarlate. Profiter du temps présent, de l’instant, s’oublier dans le jeu, avoir neuf ans décidément.

Celui dont la passion était de faire des prouts avec le bras. Le copain du précédent et de celui encore plus haut.

Celui qui était tellement, tellement sensible mais ne voulait pas le montrer, qui s’essuyait les yeux furtivement pour que je ne vois pas ses larmes. Je faisais celle qui n’avait rien vu puisque c’était sa volonté, et puis quand le calme était revenu, je m’approchais discrètement de lui :
— Ça va mon grand ?
Il souriait :
— Oui ça va maîtresse.
— Ok, tu sais que je suis là, hein ?
Il haussait les épaules, bien-sûr qu’il savait, mais là bof, c’était rien en vrai.

Celui qui se dandinait, tout le temps, dont la voix ne parvenait pas à se poser, partant dans les aigus, sombrant dans les graves, trop forte ou murmurée, un peu comme le regard qui s’échappe toujours, un peu comme les pieds qui sautillent et les bras qui s’agitent, un peu comme les pensées, difficiles à canaliser. Une bonne humeur à toute épreuve et une sacrée bonne volonté.

Celle dont les éclats de rire auront illuminé notre quotidien, une enfant solaire dotée d’une bonne humeur à faire plier les plus grincheux autour d’elle.

Celui qui voyait bien ce que je voulais dire quand j’exigeais d’un air contrarié qu’il reste focus sur son taf au lieu d’inspecter l’état du néon au-dessus de sa tête. Il prenait alors un pauvre air désolé et approuvait, l’air investi, l’air convaincu, pour se remettre à errer dans ses pensées dès que j’avais tourné les talons. Dans sa tête, un monde de legos se construit. Qu’est-ce que vous voulez, je ne fais pas le poids avec mes groupes nominaux…

Celle qui mettait une énergie folle à bien faire tout comme il faut comme maîtresse a dit, les yeux fixés sur moi et silencieuse comme une carpe. Elle attendait que je prenne place sur le banc des maîtresse, dans la cour de l’école, et que j’y sois seule pour venir me tenir le crachoir. Blablabla, et ben tu sais maîtresse, blablabla en fait mon petit frère, blablabla les travaux à la maison, blablabla pour les vacances…

Celle dont le sérieux et la discrétion me mettaient presque mal à l’aise. La faire sourire, la rassurer sur la qualité de son travail me tenait à coeur. Au cours du temps j’ai vu friser de plus en plus souvent au coin de son regard une malice prête à s’épanouir, une coquinerie présente aux abords des fossettes. Ça a pris du temps mais elle m’a laissée entrevoir la petite fille espiègle qui se cache en elle. J’en suis fière, j’ai pris ça pour une marque de confiance.

Celui qui voulait dessiner, et seulement dessiner. D’ailleurs il en ferait son métier plus tard, c’est sûr et certain ! (oui c’est sûr et j’aimerais aussi qu’il me le fasse savoir, quand il y parviendra). En attendant le reste est secondaire, il s’en fiche et c’est un combat de le mettre au travail. Son esprit s’égare, il papillonne. Il sort en loucedé du casier son histoire commencée, il dessine des petits coeurs et des arabesques autour de la date au lieu de démarrer les maths ou remplit rapidos tous les espaces à compléter au petit bonheur la chance, sans même lire l’énoncé. Énoncé au-dessus duquel il a fait un renard en train de nager dans une mare, avec juste la tête et la queue qui dépassent de l’eau. Sublime. Le sens du détail et du mouvement. La conjugaison à l’imparfait, évidemment, c’est moins fun…

Celle qui ressemblait à une brindille, toute fine et gracile, toujours de bonne humeur. Cette enfant m’a bluffée pendant deux ans avec sa capacité innée à dire non. Fermement. Ça a l’air étrange de dire ça mais peu d’enfants, et peu de personnes en fait, savent dire non avec ce ton définitif et sans appel qui ferme la porte à toute négociation mais sans agressivité non plus. Cette gosse sait le faire, comme ça, naturellement. Comme elle est par ailleurs très impliquée, motivée et facile à vivre, je me suis rarement heurtée à un refus au cours de ces deux ans, mais quand ça a été le cas, j’ai fait comme tout le monde, j’ai remballé mes arguments, vaincue : ok, bon, ben c’est non alors…

Celle qui était tellement enthousiaste, qui adhérait à tout ce que je proposais et qui voulait que tout soit parfait, qui voulait tout contrôler et aurait voulu mener notre petit monde à la baguette. Elle grondait les bavards à ma place, tirait les retardataires pour moi et faisait les gros yeux à droite à gauche. Une petite Marie Poppins en somme. Si elle savait ce que j’écris d’elle, elle rirait aux éclats, les yeux tout brillants de sa belle joie de vivre. Il me semble que je la vois, que je l’entends.

Celui qui remerciait pour tout : c’est trop génial maîtresse, oh merci maîtresse ! Souriant continuellement, sautillant de bonheur, toujours à l’affût de l’aide qu’il pourrait proposer, encourageant ses voisins et félicitant d’un pouce levé ceux qui avaient réussi quelque chose. Maladroit dans sa si grande volonté de bien faire aussi : envahissant et excessif parfois, mais capable d’entendre ses dérapages et de les corriger, de s’en excuser.

Celle qui m’aimait très fort et me le disait tous les jours ou presque, sur des petits bouts de papier posés sur le clavier de mon ordinateur, des messages griffonnés à la hâte et pliés en huit. Je les trouvais en rentrant de récré, les lisais et me tournais vers elle pour mimer de mes lèvres muettes : « Moi aussi ma puce. » Voir ses yeux pétiller alors, ses joues s’arrondir de part et d’autre de son immense sourire.

Celle qui voulait que tout soit parfait et juste dans son travail, qui y mettait un point d’honneur et l’énergie nécessaire. Evidemment, on n’apprend pas sans se tromper parfois, j’ai réussi à le lui faire admettre, mais ça n’a pas été facile. Plus petite elle fondait en larmes devant sa minuscule faute, aujourd’hui elle sourit tout grand et secoue la tête pour se moquer d’elle-même, et puis elle passe à autre chose en oubliant sa rature.

Celui qui passait sa vie à tester les règles, encore et encore. Qui cherchait à gagner du terrain sur les interdictions, les outrepassait de manière récurrente et prenait un air contrit quand on le sermonnait : non, c’est toujours non, comme hier et comme la semaine dernière. Qui sans doute a un besoin viscéral de vérifier que les limites sont solides et fiables.

Celle qui était si timide qu’elle peinait à aller au bout d’une phrase alors que c’est elle qui avait demandé la parole en levant le bras. Elle démarrait, s’interrompait elle-même en plein milieu et renonçait : non non, en fait non, faisait-elle en secouant la tête. Elle venait volontiers me parler sur le banc de la récré, mais jamais seule, toujours entourée de sa bande de copines, et alors là, son rire, ses yeux pétillants et sa malice me ravissaient.

Celle qui était tellement secrète, le regard droit, la bouche close et un caractère bien trempé. Une enfant mystère pour moi, je suis toujours désarçonnée par les gens qui ne laissent rien voir de leurs ressentis, je me sens alors amputée d’un de mes sens. Ses petits mots posés sur mon bureau me rassuraient : je n’étais sans doute pas tout à fait à côté de la plaque avec elle, puisqu’elle me remerciait d’être sa maîtresse…

Chaque année est une petite aventure, et chaque aventurier est unique et particulier. Mon voyage a duré cette fois deux ans d’affilée. Je les ai regardés grandir et progresser, se castagner et se marrer, perdre leurs dents de lait et gagner des ceintures de judo, jouer au foot et à l’élastique, fêter leurs anniversaires et partir en vacances chez mamie. J’ai écouté leurs petites histoires et séché leurs larmes, soigné leurs bobos et encouragé leurs efforts, j’ai rigolé sous cape en même temps que j’ai grondé leurs bêtises. Quand ils sont entrés dans ma vie, ils sortaient du CP. Aujourd’hui ils vont entrer en CM1, ils sont grands, ils vont poursuivre leur vie et j’en aurais fait partie.

4 commentaires sur « Au revoir ma petite équipe… »

  1. trés beau compte rendu de vos 2 années passées avec vos élèves,trés émouvant,votre grande compréhension de chacun et chacune vous honore;bisous et bonnes vacances:Hélène;

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    1. Merci pour ce commentaire très gentil. Je crois sincèrement que mes collègues sauraient tous parler de leurs élèves comme ça, moi j’ai juste un petit talent pour retranscrire ces ressentis par écrit et j’y prends beaucoup de plaisir !

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