Les trois cailloux

Mes chers abonnés, fidèles lecteurs et visiteurs d’un jour, c’est un fait indéniable : je vous néglige. Les mois passent et on ne peut pas dire que je vous submerge de mes réflexions bloguesques… Pas que je me sente particulièrement attendue mais z’enfin, mes petits billets, et surtout les billets qui causent ambiance d’école et vie d’enfants, sont réclamés et appréciés, du moins me le dit-on régulièrement.

Je suis cette année devenue une maîtresse de maternelle. J’ai sauté à pieds joints dans le grand bain des petits, pourrait-on dire. Et si je n’ai pas eu le temps d’alimenter ce blog, c’est que je suis en état d’urgence depuis la rentrée. Heureusement, j’avais anticipé le coup (j’ai 50 ans, quand même, je commence à me connaître un peu) et décidé de ne pas me mettre la rate au court bouillon pendant l’été à préparer des trucs dans le vide et à m’épuiser d’avance. J’ai fait un autre choix : j’ai lu, beaucoup, de la théorie, j’ai imaginé tranquillement ma future classe, consciente au fond que fantasme et réalité se rencontrent peu mais qu’il est bon de décider en premier lieu d’une direction à prendre plutôt que de s’imposer un objectif final généralement inatteignable. Surtout, il a fallu que je déconstruise mes réflexes de maîtresse « experte » de l’élémentaire pour reconstruire une nouvelle manière de penser la classe : sa dynamique, son contenu, sa progression.
J’ai l’air de maîtriser les choses mais en vrai je pédale dans la semoule. En même temps, je me régale, je jubile, je suis en apnée mais avec une banane énorme, je prends un kif, les amis, c’est du jus de bonheur !
J’ai une chance inouïe en vérité parce que les adultes avec qui je bosse (collègue et Atsems) me laissent le temps d’essayer des trucs, de me planter, de tâtonner. C’est un luxe que j’apprécie énormément. Je ne cesse de les en remercier (oui, merci les filles : big kisses et coeur avec les doigts).

J’en viens maintenant à ces trois cailloux, annoncés dans le titre et que voici.

Ils sont tout petits, ils tiennent dans le creux de la main. Ils sont un trésor pour le petit garçon qui me les a offerts, ils le sont devenus pour moi du fait de ce geste inattendu et émouvant. Cet enfant ne parle pas, ne sourit pas, il ne bouge pas beaucoup, refuse souvent de participer aux jeux pendant le sport, il observe, de loin, sagement assis sur le banc, il fait non de la tête quand je le sollicite. Il ne pleure pas, ne crie pas, ne se roule pas par terre, sa résistance est silencieuse et calme, d’autant plus déstabilisante pour moi, dans un sens. J’ai pris le parti de le laisser aller à son rythme, j’ai dit « comme tu veux, mon grand, viens dès que tu seras prêt : je t’attends » à chaque fois qu’il a refusé une activité.
Il y a quinze jours, il m’a crié « au revoir maîtresse ! » en me voyant partir sur mon vélo, lui-même juché sur son tricycle dans la cour de l’école. J’ai alors entendu le son de sa voix pour la première fois.
Il y a dix jours, il a attrapé ma main au moment de l’accueil du matin, pendant lequel les enfants vaquent librement dans la classe. Il m’a tirée vers les puzzles et me les a montrés du doigt. « Tu veux qu’on fasse un puzzle ensemble ? » j’ai dit. Il a acquiescé, il a choisi le puzzle, il s’est lové contre moi pendant qu’on étalait les pièces sur la table.
La semaine dernière, il est venu sur mes genoux pendant la récréation, un très long moment. Et puis il est allé joué et il est revenu avec un petit caillou. Il me l’a collé dans la main, j’ai remercié, je lui ai dit que son cadeau me faisait vraiment très plaisir.
Hier, il m’en a offert deux autres, il les a placés directement dans ma poche, pour que je ne les perde pas et il est monté de nouveau sur mes genoux. Il m’a raconté qu’il avait des pommes lui aussi dans son jardin (on a goûté des fruits d’automne). J’ai entendu sa petite voix, j’ai vu son immense sourire, ses yeux pétillants et j’ai été fière. D’avoir su le sécuriser, de l’avoir mis en confiance.

Voilà, je patouille au niveau pédagogie, organisation, je le sais. Je cherche mon mode de fonctionnement, j’essaie des trucs, je me plante ou je réussis, je garde ça et je renonce à ci, bref j’explore et comme tous les apprenants, j’avance par essais et erreurs. Mais mes élèves arrivent en classe en gambadant et repartent tout sourire, alors tant pis si tout n’est pas parfait, et même si c’est parfois carrément loupé : le principal est là, ils sont heureux, ils prennent du plaisir, ils sont sécure au niveau affectif et c’est déjà pas mal.

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