Harcèlement, l’impact adulte

L’autre jour, alors que nous étions en toute fin d’entretien, une maman m’a raconté une histoire hallucinante.
Nous avions fait le tour de la question de sa petite puce (Moyenne Section), nous avions chassé les inquiétudes parentales tout en marquant les points de vigilance à avoir, et je terminais en vantant la bonne humeur de la gamine, son énergie, son humour.
La maman m’écoute en souriant, se réjouit que sa petite soit aussi heureuse à l’école et enchaîne en me disant que pour elle-même, c’était pas la joie.
– Enfin, dans les petites classes, dit-elle, c’était pas trop mal, mais après j’ai déménagé, en CM1, et je me suis retrouvée avec des enfants que je ne connaissais pas. J’étais la nouvelle. Là c’était dur…

Elle me raconte ensuite que la maîtresse n’avait pas fait grand-chose pour faciliter son intégration. A l’époque, ajoute-t-elle, on faisait moins attention. Bah bah bah, je me dis, elle a quel âge cette dame, 35 ans ? C’est à dire que mes premiers élèves, dans la classe unique où j’ai fait mes armes du côté de Montréjeau, ont exactement son âge aujourd’hui. Le genre de calcul à ne pas trop faire, on le sait, mais en l’occurrence, déjà « à l’époque », je n’aurais pas laissé un enfant esseulé et malheureux se morfondre dans ma classe, j’aurais cherché des trucs pour l’aider à entrer dans la danse et y prendre du plaisir. Bref, des cons il y en a dans toutes les générations (et dans tous les métiers), je ne fais pas là une révélation fracassante.

En tout cas, cette enseignante très inspirée a donné un jour une rédaction à ses CM.
Sujet : décrivez la personne que vous détestez le plus dans la vie.
La maman qui me raconte ça en a encore les yeux humides… Ce jour-là, elle a traîné exprès dans la classe après la sortie en récré, elle a jeté un œil sur les copies autour d’elle, posées sur les tables, et elle a constaté que plusieurs d’entre elles, pour ne pas dire toutes, la décrivaient elle, la nouvelle.

Mais quel genre d’enseignant fait un truc pareil ? Quel genre de prof peut avoir une idée de rédac aussi pourrie ? Quel genre de personne peut laisser s’installer, encourager même, la détestation et la moquerie sans intervenir ? Indifférente , ou pire, complice silencieuse.

Comme on peut blesser des enfants pour toute leur vie en trois fois rien de temps… J’y pense parfois, j’ai dû en vexer des gosses, depuis 25 ans que j’enseigne. En m’agaçant, en me mettant en colère, en voulant faire de l’humour, en gaffant, ça arrive ! On n’est pas des robots, on peut se montrer maladroits, impatients, de mauvaise humeur, blessants. Mais là, c’est quand même le haut de gamme de la connerie.
La maman, abîmée par cette vieille histoire, est déjà montée sur ses ergots au sujet de ses filles. Si jamais… Si un jour… Si mon enfant… Elle a totalement confiance en nous, nulle crainte actuellement, elle me raconte ça justement pour me dire à quel point elle est contente pour sa petite, elle sait que sa Fifi Brindacier est parfaitement heureuse dans notre école, protégée. Mais elle est prête à bondir, c’est visible. Ce qu’elle a réussi à ravaler à l’âge de 10 ans lui a laissé un goût amer, elle veut à tout prix éviter à la prunelle de ses yeux de vivre un cauchemar pareil. Comment ne pas la comprendre ?

Combien de parents sont blessés par leur propre histoire et projettent sur leur progéniture une crainte infondée dans le présent mais justifiée par leur passé. La plupart de nos histoires de pseudo-harcèlement viennent de là. On discute de leur gosse et d’un coup, paf, la phrase clé : « Je le sais moi, je sais comment ça se passe, parce que je l’ai vécu, on m’a harcelé(e) aussi, alors je connais la chanson et je ne laisserai pas mon enfant subir la même chose ! »

Dans le protocole anti-harcèlement qui existe désormais, le plan pHARe, il n’y a pas de case pour spécifier que le parent se débrouille avec une histoire douloureuse. Ni que sa maîtresse ou son maître, lui aussi a morflé et y pense encore. Tout le monde a un vécu, on bataille avec, tous. La plupart parvient à mettre ce vécu en sourdine, ou à l’utiliser pour mieux comprendre la situation, mais d’autres sont envahis et regardent tout par le prisme de cette ancienne douleur.
Il arrive donc que, croyant démêler l’affaire actuel d’un enfant, on est embarquées en réalité et sans le savoir dans une tentative de réparation de l’affaire ancienne de son parent. Une histoire qui le ronge encore en-dedans, une blessure narcissique dont il ne sort pas, réactivée par l’amour fou qu’il ressent pour ce petit bout d’humain qu’il a mis au monde. Faut composer avec ça. Et c’est pas simple…

5 commentaires sur « Harcèlement, l’impact adulte »

  1. Pas facile de trouver le bon dosage ! J’ai subi quelques désagréments au primaire qui sont toujours très présents dans mes souvenirs (j’ai 74 ans). Rien de grave, quelques brimades. Les « grandes » vidaient tous les soirs mon cartable dans la cour de récré, où que je le dépose……… et se moquaient de mon nom de famille à l’aide de sobriquets divers…… La surveillante, officiellement, ne voyait rien. Et je ne disais rien pour que ça n’arrive surtout pas aux oreilles de maman qui avait la larme facile et dont je pensais que ça m’aurait encore plus ridiculisée !!! C’était une école privée, et je n’étais ni fille de médecin ni fille d’architecte. Mon père n’était QUE comptable agréé…. j’étais tolérée mais pas intégrée.

    Je ne me suis affirmée que bien plus tard, bien trop tard avec le recul. C’était aussi une autre époque. On se taisait beaucoup…….

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